J'évoquais hier les joies et moments de bonheur en tous genres que m'ont provoqué mes dix mois de vacances sous les drapeaux... Je ne suis pas le seul dans ce cas, un certain Manu Larcenet a vécu ça comme moi (sur la même base d'ailleurs, mais un an plus tôt). Il le raconte dans le sublime mais assez sombre (on s'en doute), "Presque" paru en 1998 chez "Les Rêveurs" dans la collection "On verra bien"
Rien que l'introduction de cette splendide bd (format à l'italienne) vaut son pesant de pucelles (et je ne parle pas des jeunes filles encore innocentes, les bidasses comprendront), je me fais donc un devoir de vous la faire partager (l'intro, pas la pucelle citée plus haut)...
Le 14/03/98
23h55
Je voulais écrire un livre sur l’armée… Alors je me suis acharné, je me suis distordu la mémoire pour retrouver des dates, des évènements, tout ce qui m’a marqué pendant le cauchemar qu’a été cette année en uniforme bleu foncé ou en tenue camouflée.
Je voulais écrire un livre sur l’armée parce que, sept ans après, je pensais avoir encore des comptes à régler. Et puis je voulais étaler ma victoire à moi sur eux : montrer à ses vieilles ganaches qu’il ne me manquait rien du tout de ce qu’ils m’ont fait endurer, que tout ça était bien archivé dans ma tête et que, contrairement à ce qu’ils prétendaient hier, je n’ai rien oublié.
Je me suis alors attaché à retranscrire dans le détail et par ordre chronologique, ma vie quotidienne de troufion moyen. Je voulais parler de la peur, de l’enfermement, des brimades… Mais quelque chose clochait. Plus j’avançais, plus je me surprenais à écrire et dessiner avec réticence, comme si ce que je racontais n’avait, somme toute, aucune importance.
J’ai tout jeté et puis j’ai laissé reposer. Je savais que je voulais toujours parler d’armée, mais visiblement, je ne savais pas trop quoi dire. Et puis, comme une claque dans la gueule, je me suis aperçu presque avec dégoût, que je n’étais plus en colère… Quand est-ce que j’avais perdu la rage ? Pourtant, elle m’avait tenu le ventre longtemps après ma libération. Je l’avais entretenue soigneusement, comme une relique, comme une revanche.
En tous cas, elle m’avait abandonné ! Enfin… pas tout à fait. Je me suis rendu compte que si je n’avais effectivement rien oublié, j’avais pardonné. C’était aussi con que ça. Je n’en voulais plus à personne. Ça ne veut pas dire que j’étais vide de haine, loin de là, mais elle n’allait plus à un sergent vicieux ou un caporal sadique… Non, ma haine était toute entière dirigée vers l’inertie collective et ma propre résignation face au système.
J’avais fait la paix avec presque tout le reste, presque…
Un jour promis, j'arrêterai de faire l'apologie du Génie exceptionnel de ce divin Manu (mais bon, c'est pas pour après demain non plus). De toutes façons, tant que chaque foyer vitryolé n'aura pas au moins un exemplaire de Larcenet chez lui...
Déjà une personne de convaincue (c'est déjà ça...et pas des moindres en plus) qui, à l'issue de la lecture du "Combat ordinaire" m'a fait cette superbe réflexion :
"C'est vraiment magnifique, on croirait que la bd est écrite pour celui qui la lit"
Ce FLB (merde, je l'ai dit, bof...tant pis), quelle sens de la formule quand même... en plus il a raison !